La basse Alexei Tanovitski affiche une splendide voix de bronze qu’il modèle avec un grand art du legato. - Par Julian Sykes, Le Temps.
Un «Stabat Mater» aux larmes apaisantes
Par Julian Sykes
Christian Zacharias dirigeait la fresque liturgique de Dvorák, mardi soir à la Salle Métropole de Lausanne. Un concert riche en émotions intériorisées
Quelle merveilleuse idée d’avoir programmé le Stabat Mater de Dvorák! Christian Zacharias s’attelait à cette fresque liturgique, mardi soir à la Salle Métropole de Lausanne, avec le Chœur de l’Opéra de Lausanne, l’Académie vocale romande et ses musiciens de l’Orchestre de chambre de Lausanne. Un test pour un chef d’orchestre, tellement il faut doser l’équilibre entre les interventions chorales, l’orchestre riche en solos d’instruments et les parties des solistes.
Christian Zacharias privilégie l’intériorisation de l’œuvre tout en préservant sa grandeur. La difficulté consiste à maintenir la tension sur dix sections au tempo globalement modéré. Dvorák lui-même est parvenu à varier les climats au sein d’une atmosphère d’affliction et de recueillement.
L’œuvre a été écrite pour répondre à la mort de sa fille nouveau-née Josefa, un bébé de deux jours, survenue en février 1876. A l’origine, elle ne devait pas être aussi ample et ambitieuse. Elle était prévue pour quatre solistes, un chœur et un piano, mais la mort de deux autres de ses enfants, l’été suivant, l’incita à reprendre la partition et à la développer considérablement. Ce vécu tragique explique pourquoi l’œuvre paraît si sincère. Le Stabat Mater, à la dimension universelle, contribua du reste au renom de Dvorák à l’étranger. En mars 1884, le compositeur le dirigea au Royal Albert Hall de Londres avec quelque 800 choristes et un grand orchestre symphonique!
Rien de pareil, à la Salle Métropole de Lausanne. Christian Zacharias s’appuie sur deux chœurs de taille plus modeste: le Chœur de l’Opéra de Lausanne et l’Académie Vocale de Suisse romande (dont les chefs de chœur sont Dominique Tille et Renaud Bouvier), préparés pour l’occasion par Véronique Carrot. Une belle transparence se dégage de ces deux ensembles, dont les voix fusionnent pour servir la séquence du moine franciscain Jacopone da Todi, datant du XIIIe siècle. Les ténors se montrent éloquents pour leur première intervention dans la pièce initiale («Stabat Mater dolorosa»). On apprécie le contre-chant des voix de femmes pour répondre au solo de la basse («Fac, ut ardeat cor meum») et, inversement, les voix graves d’hommes pour répondre au solo du ténor («Fac me vere tecum flere»).
L’orchestre lui-même contribue à la douce plénitude de l’œuvre. On apprécie les nombreux solos confiés aux bois (clarinettes, flûtes, hautbois), aux couleurs ombrageuses et mordorées: il y a par exemple ce passage, dans le quatrième mouvement confié à la basse, qui fait penser au début du Requiem de Mozart. Les cordes sont tendres et plaintives, et les cuivres ponctuent les grands éclats, quand toutes les forces sont réunies (l’ultime section, «Quando corpus morietur», qui débouche sur la lumière).
Fortement sollicités, les solistes sont habités à défaut d’être tous égaux.
La basse Alexei Tanovitski affiche une splendide voix de bronze qu’il modèle avec un grand art du legato.
La basse biélorusse Alexei Tanovitski affiche une splendide voix de bronze qu’il modèle avec un grand art du legato. La soprano Svetlana Doneva se montre expressive et fébrile, mais dans l’aigu, la voix, plutôt stridente, se met à trémuler. La mezzo Christina Daletska chante avec sincérité («Inflammatus et accensus») quand bien même le timbre n’est pas exceptionnel. Le ténor Jörg Dürmüller, qui pousse un peu ses aigus dans la première pièce, trouve le ton juste, d’un lyrisme plein et suave, pour son solo. On sort apaisé et rempli de ce Stabat Mater , ponctué d’épisodes d’affliction et de lumière.
Par Julian Sykes.
© 2011Jeudi 6 octobre "Le Temps" Classique SA